Un tout tout petit petit soir, noir.

19h30. Appel téléphonique hebdomadaire à ma maman. Ouf, elle s’est remise du covid. A 83 ans, c’est pas rien. Je me suis servi un Ricard, Agnès, un verre de vin, notre fils Timothée, 12 ans, de la limonade. 19h50. Pas de télé chez nous, radio étrangement éteinte. Dix minutes floues de connexions perturbées entre smartphone et ordinateur. Saturation du réseau sans doute. 19h58. Les journalistes cultivent le vide et moissonnent le rien. 20h. La tête attendue s’affiche. « Je m’y attendais, mais je suis déçu » dit mon fils. Orphelin de mots, j’ai pas mieux et marmonne autour d’un sentiment de néant intérieur. Il y a un deuil chez nous où voter est depuis longtemps impossible, comme la fin d’un monde où la politique vient de mourir. 20h10. Notre fils se connecte à « Friends », nous, au film Délivrance, excellente adaptation d’Adler-Olsen. Je suis si content pour ma mère. L’air gronde d’une multitude bafouée. Un air pas beau de Baudelaire : « L’espoir vaincu, pleure et l’angoisse atroce, despotique, sur mon crâne incliné plante son drapeau noir ».

Je vautre con

Comment ne pas ressentir une incommensurable fatigue démocratique à entendre tous les prescripteurs d’opinions ressasser inlassablement l’injonction « il faut voter lui et pas elle » ?

Et bien je dis non. Il ne faut pas voter lui. Il ne faut plus voter du tout car le problème n’est pas là. Il est dans cette démocratie qui depuis maintenant 20 ans nous autorise ce seul choix de voter contre.

Je vautre con et vautrerai con.

Cet appel à imposer un vote pour en interdire un autre est tout simplement le râle d’une démocratie à l’agonie.

D’ailleurs pourquoi faut-il voter lui ? Pour l’empêcher, elle, de provoquer une catastrophe démocratique ?

Je ne suis pas d’accord. La catastrophe démocratique, elle est là, maintenant, tout de suite, dans cette urgence irrationnelle, démesurée, irréfléchie à se précipiter vers le statuquo la main tremblante et le regard vide.

Obéir à l’injonction « voter pour lui » maintiendra ce système qui de votes contre en votes contre a fait la preuve qu’il est antidémocratique.

Alors je vautre tellement con que je ne redoute même plus l’élection d’elle pour y voir la condition d’une révolution si nécessaire et devenue sinon tellement improbable…

Vraiment, vautrement con.

Franz

P’tit âne à Cannes | Titane

Je suis gonflé à bloc pour proférer les pires saloperies audibles par un humain. Vous voilà prévenus (et pas d’écriture inclusive dans mon monde qui inclut très bien sans avoir à montrer son q, poils au q, ça va de soi -jeu d’été : trouvez le mot derrière -hihi- la lettre q mystère).

D’abord, Julia Ducournau. J’ai consacré un peu de temps à la découverte du personnage en particulier en écoutant quelques-unes de ses interviews. J’ai renoncé rapidement car j’ai autre chose à faire que d’essayer de comprendre quelqu’un qui a l’évidence 1) ne sait pas s’exprimer 2) ne sait pas elle-même ce qu’elle dit 3) n’a rien à dire.

En revanche, cela ne l’empêche pas de parler avec cette assurance caractéristique que donne l’autosatisfaction narcissique d’être soi-même. Faire « khâgne », « hypokhâgne » (tiens, caca cagne tant qu’on y est), puis la si prestigieuse Femis, ne sert ni à apprendre à s’exprimer ni à structurer sa pensée, mais à habiter la planète où l’élite vitupère son contentement aveugle d’être soi aux pauvres terriens que nous sommes, docilement empêtrés dans cette discrète, impressionnable et sensible intelligence si profondément humaine.

Résumons : Julia Ducournau n’a rien à dire mais à très envie de parler et fait partie de l’élite. Elle peut donc faire : de la politique, du journalisme ou du cinéma. Ajoutons que dans cette incapacité à produire un discours articulé, on discerne un personnage sous l’emprise d’une impulsivité qui la conduit vers les territoires inexplorés de son intimité psychique (où ses mots s’écrasent lamentablement). Là évidemment, le cinéphile prend peur car il sait que Julia Ducourneau fera des films thérapeutiques autour de son nombril tout en étant sincèrement convaincue de s’adresser à la ville et au monde. Je ne dirai pas que cette « urbi et orbi » attitude définit la posture du cinéma français dit d’auteur, non je ne le dirai pas.

Comme prévu, Julia Ducournau réalise donc des films psychiquement secoués, marqués avant tout par l’urgence de vidanger son ego incontrôlable sur un public nécessairement consentant. « Grave » avait déjà été pour moi un calvaire malsain et désagréable, interrompu à mi-course.

Cannes, maintenant. « Titane » a donc obtenu la fameuse Palme d’or. Inutile de s’arracher la tête (j’ai essayé). Ceci respecte l’ordre social : l’élite s’autocongratule pour marquer son territoire. C’est sa force, sa raison d’être et surtout, la condition de sa survie.

Evidemment je n’ai pas vu « Titane » et bien sûr, n’y allez pas (sauf, si vous êtes de l’élite : alors, que faites-vous ici ?) ! Il est fatal que le cinéphile déserte Cannes, comme le démocrate le plus enragé, l’isoloir. Regardez l’univers et voyez notre monde : des planètes tournent les unes autour des autres sans jamais se rencontrer. Et la révolution direz-vous ? En astronomie elle est aussi l’impossible rencontre. Vive le cinéma !

Franz.

Macron, le virus

Ma vie, paraît-il, est en danger. A cause d’un virus, semble-t-il, appelé la covid 19 (ne pas rire, c’est sérieux, c’est ta vie !).

Et bien voilà : je ne suis pas d’accord. Admettons que ma vie soit en danger : mon âge, 56 ans, me place derrière cette barricade floue où l’on parque les humains animaux dits « à risque ». Admettons. C’est vraiment pour vous faire plaisir.

Et bien, je ne suis toujours pas d’accord. Sur la cause de ma mort probable. Le vrai responsable s’appelle Macron. Voilà le seul et vrai virus à mes yeux. Qu’il soit masqué depuis toujours n’y change rien. Je le sais : le virus c’est lui ! Et il va me tuer.

Je suis atteint depuis ma naissance de la démocratietose : mon organisme ne trouve plus assez de démocratie, cette substance si essentielle, vous le savez, à la survie de l’être humain. Et je meurs à petit feu.

Alors que je le sens : c’est la fin, j’entends qu’un vaccin, paraît-il, pourrait me sauver ? Quoi, la démocratie, enfin, de retour ? Mais non, c’est un vaccin contre la covid 19 (là, vous pouvez rigoler).

Vraiment merci, mais je préfère mourir. Et je fais don de mon corps à la politique. On y trouvera les ravages produits par la démocratietose, la mortelle impossibilité d’être politiquement représenté.

Parmi ces ravages, cette parfaite irrationnalité qui conduit un être pourtant tout-à-fait raisonnable, à cracher sa vie à la gueule d’un président d’une non république absolument pas démocratique.

Covidemment,

Franz

Ce qu’il faut de coups et de rage, plaidoyer pour Benoît Hamon

Benoît Hamon,

Tu es une évidence politique inespérée. Tes idées supplantent toute autre pensée politique. Le Revenu Universel d’Existence (RUE) est sans aucun doute l’unique projet politique visionnaire dans un accablant, immuable et grandissant désert politique.

Pourtant, te voilà cinquantenaire retraité, ancienne tête de liste laminée et animal politique en voie d’extinction.

Je lis ton livre secoué de tous les signes d’acquiescement, d’accord et d’approbation. Tu n’as pas à me convaincre : tes idées sont en moi aussi sûrement que mon coeur bat.

Alors, je me dis qu’il faut jeter la plume trempée dans l’encre de l’entendement éclairé pour crier plus fort, creuser plus profond, filer des coups et gueuler sa rage. Depuis Trump, le ridicule n’est plus à craindre.

Il faut crier que le RUE doit être universel, inconditionnel et individuel. Tu l’écris très bien, il faut maintenant le gueuler très fort.

Mais il faut rajouter : il doit être aussi non contingent, c’est-à-dire ne pas apparaître comme une solution contemporaine à un contexte de crise chronique généralisée de l’emploi et à travers lui, du travail et de la place centrale que celui-ci occupe dans notre société.

La raison du RUE est plus primordiale, originelle et intemporelle.

Elle palpite selon moi au coeur même de la condition humaine.

Un seul et unique trait commun à tous les hommes détermine leur égalité fondamentale : être jeté, par la naissance, dans l’existence sans en avoir eu en aucune façon la liberté de choix. Naître est la première privation de liberté qui définit notre égalité primordiale. Il n’y a aucune autre égalité entre les hommes que celle-là : Cette égalité, impérissable, première, unique, de chacun avec tous nous accompagne jusqu’à notre mort (le suicide ne permet pas à la mort de disputer à la naissance cet incomparable statut).

Il y a dans cette vérité première aussi triviale dans son indiscutable évidence que vertigineuse dans ses conséquences, l’argument suffisant pour faire du RUE un droit individuel, universel, inconditionel et inaliénable.

C’est tout simplement parce que l’homme n’a pas choisi son existence, qu’il n’a par conséquent aucun devoir à la « gagner ». Le hasard de la naissance, le surgissement toujours inintentionnel dans la vie doit s’accompagner d’un droit à exister pour faire de la vie subie une existence nécessaire.

C’est cette tâche primordiale ignorée depuis toujours par tout pouvoir politique qu’entreprend le RUE : faire de la vie hasardeuse (seule égalité fondatrice de l’humanité), une existence nécessaire et de cette communauté de destin enfin reconnue, une civilisation nouvelle débarassée de ses mythes eux-mêmes régentés par le monarque travail.

Sans nul doute, il y faudra des coups et de la rage. Puisses-tu en être !!?

Générationeusement,

Franck.

Religion est erreur

Un malaise m’assaille à chaque apparition sonore ou visuelle du mot « terroriste » (et de toute sa famille de déclinaisons). L’actuelle prolifération dans les médias de ce vocable fait de ce malaise une douleur permanente. J’ai donc poussé la porte du docteur des mots et voilà ce qu’il m’a dit :

D (Docteur)- Monsieur, vous souffrez d’un manque de définition. Le mot sans définition fait mal. Vous me suivez ?

M (Moi) -…

D – C’est une maladie contemporaine : parler en dépit du bon sens. Le mot désigne un produit qui doit se vendre. L’étiquette doit attirer. Le mot est l’étiquette. « Terroriste » est une étiquette super-vendeuse sur le marché des échanges.

M – Mais, il y en a pas de meilleur ?

D – On s’en fout. Mais… Je suis d’accord…

M – Oui ?!?

D – Vous êtes bien malade. Vous souffrez de la maladie de la distance critique.

M – Ké ?

D – La maladie de la raison.

M -Ki ?

D – Vous êtes intelligent quoi. Hi hi hi hi, ha, ha, ha, ho, ho, ho. Intelligent ! A notre époque ! Hu, hu, hu.

M – L’intelligence, une maladie ?

D – Oui. Grave, profonde, assez belle. J’en ai vu de magnifiques. Mais rare. De plus en plus. Très douloureuse. Pas mortelle. Enfin, pas physiquement. Et pas contagieuse ! Comment l’avez-vous contractée dites donc !?!

M – Je lis ?

D – Vous lisez. Hi hi hi hi, ha, ha, ha, ho, ho, ho. Lire ! A notre époque ! Hu, hu, hu… Il faut arrêter.

M – De lire !?

D – Non, les médias. Alors : un journal papier par jour (pas plus) et c’est tout. Radios, télés, sons et images : poubelle.

M – Je me sens mieux déjà.

D – Alors, vous disiez : terroriste.

M – aïe

D – Pardon (il consulte un énorme ouvrage)… Pour terroriste, j’ai : « malade mental ». Fou, si vous voulez. Il y a de la religion là dedans ?

M – Oui. Enfin, c’est ce qu’ils disent je crois.

D – Alors, fou, c’est pas mal. « Terroriste »…

M – aïe… Dites : tér…ti…to… toto plutôt.

D – toto pluto ?

M – Non, toto

D – Bien. Le mot a toujours une vertu qui inclut et inversement, exclut. Nommer est toujours une approbation dans une catégorie, un groupe, une communauté. Plus la communauté est prestigieuse, plus l’approbation est honorifique. Alors, ici, « toto », vous voyez, donne à celui qui le reçoit, une reconnaissance publique, l’intègre dans notre communauté des hommes.

M – toto est mon égal !?

D- Oui. Il est même placé au-dessus. On ne parle pas de vous ! mais de lui, oui ! La stigmatisation par un terme technique créé spécialement, toto donc, lui confère une plus grande valeur.

M – toto mieux que moi ?

D – Oui. Il est même confirmé dans son identité de sur-homme. Ce qu’il cherche. D’où votre malaise. Toto a gagné, vous avez perdu ! Hi,hi,hi, ho, ho, ho.

M- hu,hu,hu.

D – Voilà pourquoi, fou, c’est mieux (il consulte le gros ouvrage). Alors… r, re, rel, reli… religion. Voilà : « système de pensées qui repose sur la croyance ». Et oui, c’est logique ! Fou, c’est très bon. Toto est fou.

M – Pardon ?

D – On peut dire : toto a perdu la raison.

M – Oui, être fou, c’est perdre la raison.

D – Et aussi, croire c’est renoncer à la raison. Donc un toto croyant est fou doublement en actes et en pensées. Croit-il beaucoup ?

M – Oui, énormément paraît-il.

D – Totalement déraisonnable donc.

M – Complètement barré.

D – Toto est un con parfait.

M – Et d’une immonde violence meurtrière

D – Toto est un dangereux assassin parfaitement con.

M – Un criminel fou furieux. Mais pourquoi ne le dit-on pas dans les médias !?!

D – Quoi donc !?

M – Mais que c’est un taré complet !

D – On confond tout

M – Les cons font tout ?

D – Non, enfin oui. Euh. Il y a con…fusion.

M – Allez, un con de plus.

D – S’il vous plaît. Donc, il y a, disons… amalgame.

M – Ah, super étiquette, ça : amalgame !

D – Oui, très beau produit, au top des ventes ces derniers temps.

M – Pas d’amalgame ceci, pas d’amalgame cela… et patati patata.

D – Le sens est confisqué, les mots lancés comme des cacahouètes. Le sens est interdit.

M – hi hi hi

D – Donc, je disais : il y a confusion. Entre le sentiment et la raison. Toto vocifère le faux en croyant dire vrai alors qu’il a totalement déserté le terrain de la raison. Il erre dans l’erreur intellectuelle mais confond délire sentimental et vérité scientifique. Il se croit Einstein en posant deux et deux font cinq. Il a renoncé à la connaissance et se proclame Diderot !

M – Ah le con ! Et les médias !?

D – Ils relaient la confusion en demeurant prisonniers de l’émotion dans laquelle les a traînés toto. C’est pareil pour les politiques.

M – Ah les cons !!?!

D – La laïcité trace la frontière d’un territoire neutre, celui de la raison commune. Vu depuis ce territoire, toto qui en est exclu, est une aberration, une construction intellectuelle délirante, objectivement erronée.

M – Donc ?

D – Il faut interdire à toto ce territoire public de la raison partagée qu’il occupe indûment, en le renvoyant sur son terrain propre.

E – C’est-à-dire ?

D – Il suffit de l’appeler par son nom. Toto est fou. Son territoire est l’asile d’aliénés où l’on emprisonne l’incapacité sanguinaire de mener une vie privée socialement intégrée. Finie la reconnaissance sociale et donc, terminé l’amalgame fameux avec la religion comme institution sociale.

M – Le mot tue ?

D – Il fait ce qu’on lui demande.Là, ça fera 75€.

M -…

Confinement bien…

Pour l’homme de gauche que je suis et -j’ose penser- pour tout individu doté d’une part usuelle de bon sens politique :

  • il n’est pas étonnant qu’un gouvernement de droite, inefficient dans ce qui est en théorie prévu : mettre en œuvre un programme censément efficace et réfléchi en amont, se révèle incompétent face à l’imprévu, le désormais historique et universel coronavirus. « Gouverner c’est prévoir » est évidemment ici, hors sujet.
  • il n’est pas étonnant qu’un gouvernement acquis à l’ultralibéralisme, découvre à l’occasion de cette mise en cause de l’intérêt du plus grand nombre et en l’espèce de la vie même de quiconque, les mérites du service public et à travers lui, les valeurs de solidarité et d’égalité, toujours louées en paroles mais systématiquement bafouées en actes.
  • il n’est pas étonnant qu’une ex-ministre de la santé de ce gouvernement soit elle-même incompétente et irresponsable au point de quitter ses fonctions au pire moment pour des raison électoralistes.
  • il n’est pas étonnant que ce gouvernement décide d’un confinement indolore pour les plus riches qu’il n’a de cesse d’avantager mais désastreux pour les plus pauvres pour lesquels, selon notre éminent président, « on dépense un argent de dingue ».
  • il n’est pas étonnant que ce gouvernement découvre comme par magie « un argent de dingue » en dépit de barrières budgétaires nationales et européennes jusqu’alors strictement infranchissables, au mépris de la misère grandissante des plus nécessiteux, au moment où sa propre survie -au sens propre du terme- est en cause.
  • il n’est pas étonnant que ce gouvernement confiné dans la salle d’attente angoissante d’un second tour municipal insensé, s’empresse, la larme à l’œil, de se raccrocher à la promesse d’un « nouveau monde » désormais inéluctable lequel n’a pourtant reçu de sa part jusqu’à aujourd’hui qu’un profond mépris.

Face à la banalité de ces constats qui consacrent l’indigence de notre gouvernement :

  • il ne serait pas étonnant que les mécontents méprisés hier et adulés aujourd’hui (« petites mains » en gilets jaunes ou pas et autres grévistes à bout -soignants, enseignants- du service public…) contaminent notre démocratie moribonde du virus salvateur de la révolution.

Adèle Haenel : Sans haine, elle…

Le témoignage d’Adèle Haenel sur Médiapart a frappé les esprits. Son empreinte sur la mémoire collective paraît déjà indélébile et entrer définitivement dans l’Histoire. Ces moments présents qui échappent à la fugacité de l’instant en questionnant si profondément notre passé qu’ils semblent gouverner l’avenir, sont rares.

Il y a ces yeux exorbités à la pupille dilatée qui ont vu l’innommable et nous transpercent de leur flamme gris vert. Il y a les mots qui fusent en rafales et nous criblent comme des balles. Il y a une femme qui nous impose sa beauté écrasante pour mieux crier que, justement, cette beauté est hors sujet et la vérité, ailleurs qu’en surface. Il y a tout un corps dont chaque convulsion emprunte avec évidence la voix brûlante de la vérité.

Voyons cette vérité dont la forme aurait les traits de la beauté. Adèle Haenel n’accuse pas un monstre dont elle aurait été la proie. Christophe Ruggia, Roman Polanski ne sont pas monstrueux en dehors de notre propre monstruosité laquelle consiste à refuser de les considérer, avec des yeux écarquillés par l’incrédulité, comme les résultats de notre propre responsabilité. Le père d’Adèle Haenel n’a-t-il pas renoncé de son propre chef à dénoncer le crime commis sur sa propre fille ? Adèle Haenel met en cause la responsabilité de tous dans l’instauration d’un ordre inéquitable entre les sexes dont la femme est plus souvent que l’homme la victime . Le système judiciaire n’échappe pas à cette remise en cause car il concoure à cet ordre. Discrédité, illégitime, il ne peut plus remplir sa fonction sauf à être au préalable réformé. Le juge ne peux dire de sentence lorsqu’elle s’applique indirectement aussi à sa propre personne. Une institution malade, condamnée à  diffuser sa propre contagion, n’a plus de pouvoir de guérison. Punir n’est plus qu’une illusion garante du statu quo. La dénonciation portée par Adèle Haenel atteint les principes fondateurs de la démocratie, dont cette trop fameuse égalité constitutionnelle de tous devant la loi, désignée comme la mystification originelle. Homme politique, tu sers une république boiteuse (j’ajouterais : dont tu es le dernier à tirer des avantages grâce aux privilèges du pouvoir qu’elle t’octroie par délégation suite à la mascarade du vote dit citoyen) : cela doit cesser, nous dit Adèle Haenel.

Elle en appelle au réveil des consciences individuelles anesthésiées par le chant du libéralisme où le refrain de l’intérêt individuel ressassé sans fin s’entrecoupe des couplets du consommer toujours plus. Pourtant, ses yeux plantés dans les nôtres, Adèle Haenel nous assène que je ne peux vouloir ma liberté que si, conjointement, je souhaite la liberté de tous. La liberté individuelle n’a de sens qu’assortie de conscience morale, c’est à dire d’une composante éminemment collective qui revendique l’égalité de tous. Sinon, la liberté n’est qu’une capacité de contraindre proportionnelle aux ressources de chacun et donc soumise aux inégalités sociales qui voient le riche écraser le pauvre. Cette posture profondément sartrienne lui donne soudain cette place naguère occupée par la figure de l’intellectuel engagé lequel a déserté durablement l’espace médiatique.

A l’heure de la dissolution du lien social dans le chacun pour soi, de la disparition de la solidarité morale fondée sur le partage de valeurs communes, de la promotion de l’image de soi par la pathologie du selfie narcissique comme acte existentiel fondateur, tâchons de méditer cette leçon de courage, de discernement, d’engagement citoyen et de responsabilité.

Bien au-delà d’une prise de position uniquement féministe, personne depuis longtemps n’avait montré autant de considération humaniste envers autrui et une telle hauteur de vue politique face à un monde abandonné à un sort d’objet dévoré par les intérêts économiques individualistes mais déserté par une pensée politique soucieuse du profit du plus grand nombre.

Qu’Adèle Haenel n’en finisse pas d’éclairer notre bien médiocre obscurité.

J’okère ! | Joker, 2019

Somptueux, grandiose, radical. Tel est Joker.

Somptueux : la lumière, la composition des couleurs et des cadres, les décors, les images mangées de gris, de grandeurs ravagées, de tristesse, de misère et de corruption de Gotham, les costumes et maquillages du Joker pitoyablement magnifiques, le ballet incessant des plongées et contre-plongées… le spectacle étourdit par ses beautés et sa grâce ; la réalisation stupéfiante de maîtrise, coupe le souffle.

Grandiose : on assiste à une démonstration éclatante de la fabrication sociale de la folie meurtrière à travers la genèse du Joker, son archétype le plus implacablement pur. Tous les superlatifs déjà utilisés çà et là ont échoué : Joaquim Phoenix, au delà des mots, arpente le territoire des génies pour l’enchanter de ses danses et éclats de rires hors normes.

Radical : tous les curseurs sont en buttée, bloqués contre leurs valeurs extrêmes afin de procurer à la démonstration toute la puissance limpide de l’évidence. Le Joker est le produit mécanique d’une société à l’agonie comme l’est le fruit pourri d’un arbre malade. Ainsi, à chacune des étapes de son édification, son libre arbitre n’a jamais le loisir de s’exercer :  Il naît 1) sans l’avoir voulu (oui, comme nous tous, mais cette première évidence de notre communauté de destin, unique égalité existentielle originelle, est dramatiquement rangée dans une universelle amnésie) 2) sans désir, pour être adopté 3) sans amour, maltraité par sa mère adoptive 4) sans statut valorisé, relégué à un rôle obligé de clown professionnel 5) sans égard, agressé par des êtres sans conscience ni morale 6) sans reconnaissance, licencié injustement par un employeur inflexible 7) sans amitié, armé par un collègue irresponsable qui lui fournit le revolver de ses premiers crimes 8) sans respect, poussé au meurtre par une agression gratuite 9) sans bienveillance, moqué par l’animateur humoriste de télévision, son seul  maître à penser etc.

Cette radicalité peut être considérée comme une complaisance excessive. Je la vois au contraire comme l’intention de dénoncer les effets mécaniques des déterminismes lorsqu’ils sont extrêmes. Je discerne aussi, à travers elle, la remise en cause du dogme ultralibéral selon lequel chacun est responsable de sa condition (quel plaisir aussi de voir piétinée au passage la résilience, ce concept idiot élaboré par une élite éberluée par sa propre puissance). Joker n’est pas plus responsable de sa folie que le pauvre de sa misère, l’héritier de sa fortune, le découvreur de son génie. La violence donnée est le simple écho de la violence subie.

Si le moment dans le film où la folie du Joker devient le facteur déclencheur d’une révolte de masse n’est pas le plus convaincant, il reste plausible (souvenons-nous que l’immolation de Mohamed Bouazizi fut le déclencheur du printemps arabe) sans être le motif central du film.

En revanche quelle profonde réussite cinématographique que cette leçon politique aussi magistrale qu’inattendue. Quelle autre réussite que de faire du rire du Joker, ce hoquet irrépressible dont l’écho hante durablement l’esprit, le marqueur de la tragédie humaine. Quelle réussite enfin que cette inversion des valeurs où, grâce au détour fictionnel qu’autorise l’art le mieux utilisé, est rappelé l’arbitraire de l’ordre social pour faire du mal, un improbable super-héros au masque de clown.

Vive le cinéma !