Sans nuance de Gray…
« Tout ça pour ça » : voilà la pensée lancinante qui vrille mon cerveau après 2 heures de face-à-face hébété avec Ad astra.
« Tout ça… » car au prix de moyens colossaux, le spectacle est (plutôt) beau mais sans éblouir et… c’est tout.
« …pour ça » car, sauf la scène d’ouverture marquante par son originalité, le reste est médiocre, déjà vu souvent en bien mieux alors que la fin s’écrase contre un mur de vacuités où l’on pourrait lire : « c’est dur d’être papa… « , « il faut tuer le père… » ou « on est seul face à la mort alors l’amour, c’est chouette ». A côté de cette intrigue existentielle affligeante se déploie un motif scientifique aussi impénétrable qu’invraisemblable au gré d’une poignée de scènes d’action trop souvent laborieuses, gratuites ou maladroites pour tromper l’ennui (le ridicule est atteint lorsque Brad Pitt se propulse à travers des astéroïdes armé d’une tôle en guise de bouclier). Bref, la coquille est vide et le divorce entre la forme et le fond, complet. A quoi bon cette débauche de moyens et d’effets spéciaux quand un simple divan de psychanalyste (même usé) aurait fait l’affaire ? La science-fiction est un cadre utilisé ici comme prétexte à un message inaudible.
Brad Pitt congelé dans un soliloque en voix off peine à exister derrière un masque de souffrance permanente tandis que les rares dialogues jettent sur les autres personnages un voile fantomatique. Dans cette désincarnation généralisée, il est bien difficile de s’attacher à quoi que ce soit d’autant plus que d’autres thèmes ambitieux sont à peine effleurés en quelques fugaces images : le commerce lunaire, le banditisme martien, la privatisation du transport spatial illustrent l’universalisation de problématiques contemporaines.
Confronté à la confusion entre l’apesanteur est la pesanteur, Brad Pitt succombe à une sinistrose si lourde qu’elle en devient contagieuse. Une scène récurrente où il réussit immanquablement un examen psychologique devient risible tant son désordre psychologique saute justement aux yeux. Le spectateur le mieux intentionné est partagé entre ankylose morbide et rire sardonique.
Tommy Lee Jones quant à lui est littéralement momifié dans un rôle pathétique presque muet.
La seule justification de ce fatras serait de ressentir les flammes de l’émotion. Or, une pluie assommante de glaçons installe un climat de pôle nord. Il faut beaucoup de complaisance bienveillante pour s’émouvoir d’une quête entre des êtres aussi favorisés : père et fils grands astronautes dont le premier est un héros national. Certes, ils ont droit au malheur (son universalité est le thème que le film échoue justement à traiter) mais l’effort compassionnel est d’autant plus difficile à fournir qu’on ne sait pas grand chose d’eux, qu’eux-mêmes ne se connaissent guère et sont sans contact depuis 16 ans.
On ne devrait pourtant pas s’étonner de cette déconfiture car James Gray en donne lui-même dans une interview à Libération (du 13/09) quelques clefs : il reconnaît avec une sincérité teintée d’une apparente fébrilité psychologique qu’il « n’est pas assez bon », son incapacité à exprimer de la vie sa « part drôle et joyeuse » et son inconfort d’avoir à concilier une haute ambition intellectuelle avec l’impératif de spectacle et de divertissement du cinéma actuel.
Heureusement, sur la planète de James Gray habite aussi la presse française. Transie d’extase mystique devant le label « intellectuel », elle l’encourage à continuer sa psychanalyse à travers ses films (« The lost city of Z » toujours sur cette même thématique du lien filial était déjà un « Indiana Jones sous prozac »).
Vive le cinéma !